Appel à réflexions autour du "techno-pouvoir"
dossier ouvert pour l'année scolaire 2025-2026
Victor Chaix
Autres articles de l’auteur·ice →Depuis le retour de Donald Trump au pouvoir aux États-Unis et l'alignement spectaculaire de la Big Tech sur sa politique réactionnaire et autoritaire, on parle de plus en plus de "techno-fascisme1" pour essayer de qualifier ce qui se déroule actuellement, sous nos yeux ébahis et nos scrolling impuissants. Si le salut nazi d'Elon Musk est l'image la plus frappante de ce que l'on pourrait nommer ainsi, du moins du côté américain de l'Atlantique, le concept fait l'objet de controverses au sein d'Épokhè : devrions-nous parler de techno-fascisme, ou plutôt de techno-féodalisme ? Est-ce que ces deux notions sont même appropriées au contexte actuel, ou bien risquent-elles d'obscurcir la particularité de ce qui se joue aujourd'hui au profit d'images anachroniques ? Devrions-nous plutôt, comme nous y encourage vivement Evgeny Morozov dans un article du Monde Diplomatique d'août 2025, très critique de la métaphore techno-féodaliste, parler de capitalisme numérique ? Voire de techno-oligarchisme, comme le fait Giuseppe Longo vis-à-vis du "mal de la banalité" qu'il observe dans les développements et les pratiques de l'IA générative ?
 
    
    En tant qu'héritiers et héritières de la philosophie de Bernard Stiegler, et dans une perspective organologique, il est pour nous évident que les formes de pouvoir actuelles sont intimement reliées aux formes techno-logiques d'articulation des pensées, des affects et des consciences. Étant aujourd'hui quasi intégralement pilotée par des intérêts marchands et impérialistes, la technologie constitue donc leurs puissances oligarchiques, et nos impuissances collectives. De notre assemblée générale de juin 2025, un consensus émerge : il y a un "techno-pouvoir", qu'il s'agirait d'essayer de mieux qualifier et concevoir collectivement, au sein et au travers d'Épokhè. C'est ce que nous proposons ici, par l'ouverture de ce présent dossier dans les Cahiers du Net.
Cette discussion a, de fait, commencé dès le début de cette année. En mars, et suite à des échanges avec Giuseppe Longo, le philosophe Paul-Antoine Miquel a suggéré sur une liste de discussion interne à l'association "d'essayer de faire un nouveau comité des intellectuels antifascistes", comme le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (CVIA) dans les années 302. La proposition a été accueillie favorablement par plusieurs membres et le cercle de co-présidence, comme l'occasion de penser un certain "techno-fascisme" à l'œuvre actuellement, ainsi que pour répondre à la pensée accélérationniste qui alimente la politique du gouvernement de Donald Trump et sa légitimation. À l'image du bimensuel Vigilance, dans lequel le CVIA inscrivait et diffusait ses réflexions, nous souhaitons que cette revue associative en ligne des Cahiers du Net puisse tenir un rôle similaire en encourageant la formalisation et le partage de points de vue singuliers, en vue d'alimenter une discussion et réflexion collective sur cette question des manifestations actuelles du techno-pouvoir.
Nous proposons de baser ce dossier et ses contributions sur l'éditeur de texte collaboratif libre en ligne "Stylo", qui nous permettra d'expérimenter une certaine techno-individuation dans nos écritures, nos évaluations et publications collectives. Merci d'envoyer vos propositions de réflexions en quelques lignes à l'adresse contact-epokhe@protonmail.com, pour approbation et premiers commentaires. Nous vous accompagnerons ensuite pour créer un compte sur Stylo et à le prendre en charge. Votre contribution sera ainsi directement éditée par le comité éditorial des Cahiers du Net sur la plateforme, avec suivi des modifications. Puis, une fois une première version arrêtée, nous la ferons circuler à des boucles appropriées pour une évaluation ouverte par les membres de l'association, ce qui sera l'occasion d'une première discussion collective autour d'elle. Une fois publiée, votre contribution pourra faire l'objet d'autres contributions proposées en réponse, prolongeant ainsi une dynamique de réflexion et de discussion collective. En tant que revue libre et amatrice, expérimentale, les Cahiers du Net n'imposent aucune forme particulière aux contributions : elles peuvent faire l'objet d'un texte relativement long, ou bien d'une contribution très courte et fragmentaire. Elles peuvent être rédigée de manière universitaire, ou bien dans une écriture plus littéraire et poétique. L'intégration d'images, de vidéos et de liens externes est autorisée, et même vivement recommandée.
Au plaisir de vous lire !
- Voir https://danslesalgorithmes.net/2024/11/08/y-aura-t-il-une-alternative-au-technofascisme/, ou encore https://www.editionsdivergences.com/livre/apocalypse-nerds.↩ 
- Ce comité naît en réaction aux émeutes fascistes de février 1934 (qui ne sont d'ailleurs peut-être pas sans rappeler les émeutes du Capitole de janvier 2021) et il préfigure le Front Populaire (les trois forces de gauche qui le constitueront en 1935 sont déjà rassemblées dans le CVIA dès 1934).↩